Phoque à la trace (P.O.)
Témoignage
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Les passages nuageux, nous cachaient un soleil déjà bas à l’horizon, réduisant encore les dernières lueurs du jour.
Notre voilier, à la recherche d’un mouillage sûr pour la nuit, serrait la côte comme jamais il ne l’avait fait de la journée. Assis près de la proue, j’observais le grand nombre de grottes au bas des falaises et guettais le moindre signe de vie marine.
Soudain, entre l’écume des vagues déferlant au bout d’un petit cap, la silhouette familière d’une tête de phoque apparaît.
J’alertais mes compagnons de voyage et quelques-uns d’entre eux, apercevaient une des deux autres apparitions du pinnipède. Alors que notre bateau poursuit sa route, la une dizaine de paire d’yeux ne mettra pas en évidence de nouvelle apparition du phoque.
A la nuit tombante, alors que le second voilier nous rejoignait, je m’empressais de faire part à Sofia de cette rencontre si fugace qu’aucune image n’avait pu être prise. Si, au début, elle pensait à une plaisanterie, elle réalisait vite que ce n’était pas le cas et semblait partagée entre la satisfaction de cette première observation et l’agacement de ne pas y avoir assistée. Après que la jeune biologiste italienne ait fait un exposé sur Monachus monachus, nous obtenions des Skippers de lever l’ancre tôt le lendemain matin, et de faire les quelques milles pour rejoindre les parages de notre rencontre afin d’y passer une partie de la matinée.
Dès l’aube, nous mouillions dans une baie à l’ouest du cap, à côté de deux bateaux déjà présents la veille. Les heures s’égrènaient au rythme, des ballades à terre, des baignades, et des séances de « Stand Up Paddle » à l’abri du vent, sans qu’aucun animal apparaisse. Alors que je me dirigeais vers la côte pour promener au-dessus des falaises de l’anse voisine, Sofia m’interpellait et me propose de nous y rendre ensemble pour explorer à la nage les grottes aperçues la veille. Nous visitions quelques unes des nombreuses cavités, sans pouvoir faute de lampe nous engager profondément dans les plus intéressantes. Tout était calme dans la petite baie, mais le passage du Cap contre le vent, pour rejoindre notre équipe s’avérait plus sportif.
En cette fin juillet, la majorité des naissances n’ont pas encore eu lieu et le fait que nous n’ayons à aucun moment eu la sensation d’une présence animale, amenait Sofia à proposer de retourner avec un minimum de matériel (caméras sous-marines et lampe résistante à la pluie à défaut d’étanche à l’eau de mer) en compagnie de ceux parmi nos compagnons qu’ une illustration pratique de la description faite la veille de l’habitat du phoque en Méditerranée intéresserait.
Les premières grottes de ce rivage, éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres du Parc d’Alonissos, révélaient successivement leurs caractéristiques respectives et conservent leur part de mystère, avec des trous obscurs sous la surface. Nous rejoignions une grotte assez discrète, mais que j’avais retenue comme la plus intéressante lors de notre première reconnaissance. Son entrée large, multiple présentait une faible hauteur permettant d’avancer sans avoir à immerger sa tête. Des parties plus ou moins hautes au fur et à mesure qu’on s’enfonçait de quelques dizaines de mètres permettaient toujours de nager à l’air libre. A son trajet irrégulier, s’ajoutaient de nombreux rochers, à fleur d’eau, qui nous obligeaient plus à ramper qu’à nager dans l’obscurité alors que ma petite frontale éclairait le plafond.
Un chenal sur la gauche permettait d’avancer plus facilement jusqu’au bout de la grotte, que Sofia atteignait en premier. Je l’entendais s’extasier alors qu’elle avait escaladé un petit rocher à l’extrémité de la caverne. Au comble de l’excitation, guidé par la lueur d’un de leur téléphone mobile, je rejoignais le petit groupe, non sans me blesser le petit orteil sur une arête rocheuse.
Je pouvais enfin mieux dévoiler la scène que me demandait d’éclairer la biologiste italienne. Le rocher du fond de la grotte dissimulait une plage, non pas de galets comme souvent, mais de sable. Ces grains minéraux portaient l’empreinte du corps d’un phoque nettement individualisante avec notamment le relief marqué de ses nageoires pectorales. La forme était saisissante au fur et à mesure que le faisceau lumineux balayait la plagette et pendant plusieurs minutes nous admirions cette preuve indirecte de la présence de l’animal sans oublier de filmer cette image inhabituelle dans le sable.
Après avoir essayé de documenter au mieux cette incursion dans l’habitat secret de l’animal si longtemps traqué, je m’interrogeais sur des détails de ce que j’avais vu. Les empreintes profondes laissées dans le sable par les nageoires pectorales de l’animal me tracassaient : elles me donnaient l’impression que le phoque s’était brusquement enfui et m’interpellaient que nous pouvions être les responsables de ce dérangement. De retour en France, en regardant attentivement les images de la trace du corps du phoque, j’ai remarqué que l’empreinte de la partie caudale était bien visible alors que celle de la tête était absente. L’examen de la séquence montre que la silhouette a été effacée dans la partie céphalique par la mer. Hors pendant notre visite de la grotte, le niveau de l’eau était à quelques dizaines de centimètres de la marque laissée par l’animal. Le plus probable est que cette signature de l’animal remonte à la veille de notre incursion dans sa grotte, alors qu’il y avait des vagues qui ont en partie estompé la partie de la silhouette la plus proche de l’eau après le départ de l’animal peut-être pour le cap voisin où je l’ai aperçu furtivement.
Durant ce séjour dans la région des Sporades, cela a été l’unique rencontre avec cet animal dont le côté mystérieux n’est pas le moindre des charmes. Une observation insolite que nous a réservé le phoque lors de mon incursion exceptionnelle dans sa grotte, en accompagnant et assistant une spécialiste de son habitat.
Il convient de rappeler que l’exploration des grottes est à proscrire car potentiellement perturbante pour les phoques au repos ou plus dangereuse voir dramatique encore lors de la mise bas par les mères et l’allaitement des jeunes.

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