Projet de Parc Ionien
Sentinelles
Depuis plusieurs années nous entendons parler de la mise en place d’un parc Ionien, pour lequel nous avons pu consulter plusieurs projets sans que rien ne semble aboutir sur le terrain. Ce dernier printemps la création de ce parc semblait imminente sur la base de cette proposition
Geographie
Les îles ioniennes grecques et le littoral qui les borde constituent la limite occidentale de la mer ionienne, elles comptent le parc de Zante, dédié plus particulièrement à la préservation des tortues marines et plusieurs zones marines protégées.
Le parc proposé concerne une zone particulière, dite mer intérieure (Inland sea sur certaines cartes marines)
Portion de mer s’étendant entre le rivage de l’Acarnanie et les grandes iles ioniennes au large (Leucade et Céphalonie / Ithaque) notamment) ; elle abrite une dizaine d’iles petites et moyennes, plus ou moins éparses
Conditions maritimes
La mer ionienne n’a pas un vent particulier comme le Mistral en Provence,… le Meltem en mer Égée, même si bien entendu , comme toute mer elle peut être, sujette à des vents violents. La mer intérieure a, de surcroît, l’avantage d’être plus à l’abri de la houle du large et se révèle donc être une mer d’aspect facile et peu inquiétante. Un vent thermique en saison, la plupart du temps modéré, rend de plus le plan d’eau attractifs pour les « voileux » néophytes et occasionnels .
Le phoque moine :
Sa présence régulière y est avérée depuis longtemps mais s’est révélée de plus en plus importante. Sur les grandes îles voisinés de Zante, Céphalonie … des spécimens sont régulièrement observés depuis des décennies et certains habitats répertoriés, mais ce qui caractérise un îlot en particulier de la mer intérieure est l’accroissement très net du nombre d’individus qui y sont recensés.
Cette augmentation de la population de M monachus ne semble pas le fait d’une sous-estimation initiale. Des habitués de ces îles m’ont rapporté qu’il y a une trentaine d’années, ils apercevaient de temps à autre, un phoque, un peu plus souvent qu’ailleurs mais cela restait rare. De nos jours, un batelier me confiait qu’il en apercevait de deux à cinq, lors de ses passages d’une heure sur l’ile, à certaines périodes de l’année. L’organisation Téthys y a identifié quarante individus ces douze dernières années.
Le tourisme
Cette région agricole a été longtemps épargnée par le tourisme de masse. Seule, la petite ile de Skorpio était connue pour son ex-propriétaire le milliardaire fameux A. Onassis et ses invité(e)s célèbres. Les gros yachts de personnes richissimes, continuent de naviguer et de mouiller dans ces parages. Récemment, cette mer assez calme et facile a attiré une clientèle héliotrope plus large, plus dense, parmi laquelle la proportion de plaisanciers expérimentés et passionnés par la mer est plutôt faible. Les voiliers de location se promènent, souvent au moteur en flottille, les catamarans abondent, … les derniers engins et gadgets nautiques se répandent ! Après les photos de La Callas, Jackie Kennedy, W Churchill… et autres vedettes de Skorpio celles du phoque sont à la mode ; les cinéastes animaliers ont succédé aux nombreux Paparazzi, le nombre des curieux s’est accru.
Les gens de mer locaux
Il ne semble pas exister chez les pêcheurs une culture d’hostilité contre le phoque comme on peut la rencontrer dans d’autres îles ou régions de Méditerranée. La découverte d’un jeune phoque éventré sur une ile remonte à un certain temps et semble isolé. Le discours de pêcheurs est souvent apaisant, l’un d’entre eux me racontait que le phoque lui « volait » bien quelques poissons dans ses filets, mais sans abîmer les mailles, les dauphins faisant beaucoup plus de dégâts dans les engins de pêche. A côté de ces bonnes paroles, on rencontre souvent filets et palangres près des grottes et reposoirs.
Plusieurs bateliers organisent depuis des décennies des excursions avec des étapes dans ces îles, ce sont souvent de petites entreprises familiales de Leucade qui ne mentionnent pas le phoque dans leur brochures. Et s’il est surprenant de voir en milieu de matinée, un bateau amenant dans une petite baie tranquille une soixantaine de touristes, qui se baignent là où quelques heures auparavant nageaient quelques phoques, force est de constater que cette activité n’a pas gêné la croissance de la population de M monachus. De plus, souvent ces professionnels du tourisme, informent les scientifiques et leurs renseignements réguliers sont précieux.
Evolution ayant conduit à ce projet
Entre 2010 et 2020 au fur et à mesure que des phoques, de plus en plus nombreux, fréquentaient Formikoula, la nouvelle de leur présence se répandait largement. A la même période, la fréquentation touristique régionale s’élargissait et la culture du Buzz et de l’instagrammable envahissait les réseaux sociaux.
Le confinement de la pandémie COVID a vu le retour des Monachus sur les plages tant cette période a été tranquille pour eux, Puis la foule privée d’espace et de nature d’une part, et plus imprégnée encore de relations en distanciel est revenue comme l’illustrent les images du rapport conduisant à la mise en place du Parc.
2021 correspond aussi à la sortie d’un magnifique documentaire sur le phoque moine filmé dans cette zone et notamment sur Formikoula : l’Odyssée du phoque Moine d’ Octopus Fondation. Je ne peux que vous encourager à aller regarder les merveilleuses images de ce reportage à la qualité exceptionnelle. Beauté des images, maîtrise photographique tant classique qu’aérienne ou sous-marine, modernité des technologies présentées, scénario des interventions des différents témoins….un travail de plusieurs années sur une zone restreinte, donc nettement identifiable. Entrer dans un débat sur l’aspect sociologique de la pandémie et de la gestion qui en a été faite est hors de propos, mais que peut-on dire du documentaire ?
Discussion sur l’impact de « Odyssée du phoque moine »
Cette communication a été faite dans la perspective de protection du phoque, mais a-t-elle eu un effet indésirable sur la fréquentation touristique des reposoirs des M monachus ?
Le sens des responsabilités des divers personnages locaux interrogés est bien entendu différent. Le spécialiste des dauphins de Ionian Dolphin project à Vonitsa comme le kayakiste d’ithaque ne donnent pas d’élément particulier à mon sens. Mais que dire du plongeur de Fiskardo qui montre la grotte dite «la cathédrale » et le refuge sous-marin d’un phoque sur Céphalonie, où un drone sous-marin puissamment éclairé est expérimenté. On peut à partir des indications données et des photographies se faire une idée précise des points où rencontrer cet animal rare au nord et à l’est de Fiskardo.
Malgré le commentaire du scénario, les prises de vue surtout aériennes par drone, permettent d’identifier aisément Formikoula sur des applications incontournables de nos jours, comme Google Earth°.
Si on s’intéresse de plus près au club de plongée Fiskardo on voit qu’au Salon de la plongée de Paris il n’hésite pas à se servir du phoque comme argument publicitaire pour cette activité commerciale alors que les bateliers locaux dont j’ai consulté les sites internets utilisent, pour la plupart des termes vagues, comme « faune sauvage » , « riche biodiversité »,…
Sur sa la page FB de son club, il existe une version différente de l' »Odyssée…. » , plus courte, centrée sur le plongeur, au moins autant loquace que local, avec d’autres images de phoques, notamment très jeunes prises dans leurs abris. La bande-son existe en six ou sept langues (mais pas en grec), pour la très large audience de la chaine Arte et du magazine Geo. Ne doit-on pas s’interroger sur le rôle effectif de la video-surveillance dans cette séquence ?
Le directeur de Fiskardo divers préside à côté de son club de plongée une association « kosamare » de défense de l’environnement, dont le phoque moine est le sujet vedette.
Les subventions locales pour les associations environnementales, sont soumises à des initiatives pédagogiques et culturelles. Sur la page Facebook de cette association signataire du projet de « sanctuarisation » de la petite ile, on voit que l’activité culturelle développée par cette association consiste à une exposition de photographies sur les quai et centres des villes portuaires, un jeune phoque moine « shooté » sous l’eau à faible distance est une des vedettes de cet événement estival qui séduit un large public, les notables et élus au point de s’exporter de port en port. Lors d’une soirée à Fiskardo, en Juin 2023 en voyant cette image séduisante que chaque visiteur aimerait faire je me suis amusé à demander dans les établissements et sur les pontons alentour « où voir des phoques comme celui exposé ? » en dix minutes Formikoula m’a été cité à plusieurs reprises.
A l’inverse, des plaisanciers qui aiment mouiller leurs voiliers, au calme de cette « ile aux phoques » , comme elle est à présent nommée, restent discrets. Sur les applications donnant des informations pour la navigation et les abris type Navily° on note plutôt un respect de la confidentialité
Effet annonce néfaste
Un autre exemple de communication dangereuse sur les zones à protéger, entendu dans cette zone qu’on pourrait résumer ainsi « il faut protéger les phoques heureusement que l’accès à Formikoula va être interdit bientôt » Ce genre d’annonce :
– permet de désigner l’endroit où sont visibles avec la meilleure probabilité les animaux à protéger
– le bientôt, ou cet été ou l’année prochaine pour cette interdiction ne put qu’inciter les gens à s’y rendre ou même s’y précipiter
Bien entendu, ce discours n’est pas tenu par les grandes associations, dont les siéges sont éloignés de cette aire marine, comme Tethys (Milan), Isea (Théssalonique) Archipelago ou, bien entendu le MOm depuis Athènes. Celle-ci font un lourd travail d’expertise, de démarches et propositions auprès des différentes administrations, notamment gouvernementales, concernées. En revanche, certaines petites associations locales soucieuses de revendiquer une part de la paternité de ce projet, flattant ainsi leur propre image et permettant d’envisager un droit d’accès particulier à un espace « sanctuarisé » .
Pour Formikoula la situation est devenue telle ces dernières années qu’un lot d’interdictions est, à présent, la seule solution envisageable pour protéger les phoques des perturbations croissantes d’une foule touristique irresponsable, Inutile de rajouter nos propres images à celles explicites illustrant ce projet. Mais au-delà de Formikoula, et de l’urgence de sa situation, qu’envisager pour d’autres lieux remarquables pour le phoque moine dans cette zone, et comment éviter de tomber dans les mêmes travers ?
Le secret de Formikoula a été éventé on en constate le résultat ! En exposant les grottes autour de Fiskardo, le plongeur attend quelles conséquences et quelles réactions de la part des structures de protection du phoque, et de « Kosamare » ?
Esthétique et Éthique
Rappelons tout le bien qu’on peut penser de ce film et de son esthétique, de son aspect positif pour faire aimer le phoque et donc le protéger. Mais est-il judicieux de faire signer par la fondation qui a réalisé ces belles images, le rapport visant à en interdire l’accès ? Ces prises de vue que beaucoup rêvent de faire de ces animaux qu’on invite en quelque sorte à approcher, est ce une bonne idée d’associer leurs réalisateurs à l’acte qui vise à interdire ces désirs qu’elles initient ? Est ce que le message des sociétés savantes s’en trouve renforcé ? Ou à l’inverse le public ne risque t’il pas d’entendre « nous qui nous permettons beaucoup, vous interdisons presque tout ! » ?
Que le vidéaste animalier recherche les plus images les plus extraordinaires que le propriétaire d’’un club de plongée fosse la publicite pour son activité commerciale, ils sont dans leur rôle ! Que leurs sources de revenus leurs fassent oublier le sens des responsabilités vis à vis de l’animal dont ils se présentant comme les défenseurs « communication »… « business » nous sommes en 2024 en Occident, : soit ! Mais delà à s’auréoler du statut d’association de protection de la nature et de participer à la réglementation, est ce souhaitable ou un faux pas ?
Qu’attendre de ce qui peut apparaître comme un mélange des genres entre esthétique et éthique ?
Essai de conclusion
Parmi les mammifères, tous ne se bornent pas à rester des prédateurs opportunistes, certains se démarquent par des valeurs dites jadis humaines. Je pense à ces bateliers locaux qui, de père en fils, arment leur bateau pour mener des étrangers un magnifique littoral , et qui acceptent gentiment qu’on les prive brutalement d’une étape de leur parcours pour mieux protéger des animaux qu’ils ont su préserver. J’admire leur compréhension de ce verdict qui les punit pour une situation dont les responsables sont ailleurs. Dans un climat où l’homme est souvent montré du doigt ces Humains de mer mérite d’être mentionnée. J’avoue ne pas être certain d’avoir la sagesse de ces grecs, que j’admire et pense qu’ailleurs en Méditerranée d’autres insulaires, d’autres populations côtières pourraient être moins résilientes.
Souhaitons que les interdits, devenus inéluctables, de Formikoula ne soit pas perçu ailleurs comme le message selon lequel « si sur un segment de côte vous protégez ou simplement laissez vivre et se développer des animaux en danger vous courrez le risque, à l’avenir, de vous voir privé de jouir de cet espace que vous aurez su préserver ». Beaucoup de gens sont indifférents au sort du phoque moine mais risquent de mal percevoir son retour s’ils perçoivent un tel message. Monachus a eu trop d’ennemis les siècles derniers, ils sont moins nombreux et agressifs car la situation a changé. La préservation de ce mammifère marin reste complexe, il parait essentiel de ne pas lui recruter de nouveaux ennemis par des actions inconsidérées ou mal coordonnées.
La mise en oeuvre d’une réglementation de ce parc ionien est hautement souhaitable, mais ne serait il pas mieux d’empêcher certaines dérives en amont ?En répétant de tels traitements, pour améliorer la situation de notre pinnipède, ne devons-nous pas envisager des effets indésirables à venir ?
La critique est aisée, l’art est difficile est l’objet de cette réflexion n’est pas de médire d’une action réussie, car les grecs ont su protéger le Phoque malgré l’étendue de la tâche et la faiblesse des moyens, ne l’oublions jamais. Nous autres Européens, essayons plus de les aider dans leur oeuvre de protection, que de tirer des avantages particuliers de leur succès. Surtout analysons puis tirons les leçons de leur savoir-faire en mer Egée et de quelques égarements, plus occidentaux, en Mer Ionienne, à ne pas laisser se reproduire.
On réfléchit à la place respective des mammifères en tant que prédateurs opportunistes dans l’environnement ! Hier, le phoque n’avait plus sa place, bientôt (ou déjà pour certains) c’est à l’homme de ne plus avoir la sienne ! Et si nous essayions en toute humilité de penser avec plus d’humanité que d’opportunisme, on pourrait espérer que le phoque, et plus encore, ne s’en porte que mieux ?
ACTUS